Après avoir exposé les aspects généraux de la psychologie des croyances dans les théories du complot, ce deuxième article va s’attacher à établir les liens entre l’adoption de théories du complot et le temps passé sur internet et les réseaux sociaux.
Allez, on fait le point…
L’augmentation de la désinformation chez les jeunes.
Une étude menée par l’IFOP intitulée souligne la vulnérabilité des jeunes face à la désinformation, particulièrement sur les réseaux sociaux. TikTok, par exemple, est une plateforme prisée par la jeune génération, mais elle est aussi un terreau fertile pour la diffusion de contenus non vérifiés, voire complotistes (tout comme X).
L’enquête révèle que les jeunes utilisateurs sont fréquemment exposés à des informations fausses ou non scientifiques, qu’il s’agisse de théories liées au paranormal ou à des sujets pseudo-scientifiques. Cette surexposition à la désinformation est d’autant plus inquiétante que la plupart des jeunes utilisateurs n’ont pas les outils nécessaires pour évaluer la fiabilité des informations qu’ils rencontrent.
La viralité des contenus sur ces plateformes, combinée à des algorithmes de recommandation qui encouragent la consultation de vidéos similaires, crée des « bulles de filtre » où les croyances, y compris les plus erronées, se renforcent. Les jeunes sont ainsi plongés dans des chambres d’écho où ils voient peu ou pas d’informations contraires à celles qu’ils ont déjà acceptées comme vraies, les rendant plus susceptibles d’adhérer à des théories complotistes.
L’effet des algorithmes sur la polarisation
Les plateformes comme TikTok, YouTube, et même Facebook utilisent des algorithmes puissants qui visent à maximiser l’engagement des utilisateurs. Ces algorithmes jouent un rôle crucial dans la polarisation des opinions, en offrant du contenu basé sur les préférences antérieures des utilisateurs. Une étude publiée dans Media and Communication met en lumière ce phénomène de polarisation en ligne. Les personnes qui consomment beaucoup de contenus en ligne sont progressivement isolées dans des chambres d’écho où leurs opinions sont constamment renforcées.
Le danger réside dans le fait que ces algorithmes ne discriminent pas entre des informations vérifiées et des théories conspirationnistes. En conséquence, les utilisateurs sont plus exposés à des contenus sensationnalistes, souvent plus attrayants que les informations factuelles, et finissent par accepter des récits erronés comme des vérités. Ce cycle de renforcement des croyances peut conduire à l’adhésion à des théories du complot sur des sujets allant de la santé publique aux événements politiques mondiaux. Par ailleurs, sur X, les comptes vérifiés sont à l’origine de 74% des fausses informations publiées.
La psychologie derrière l’adoption des théories complotistes
D’un point de vue psychologique, l’adoption des théories complotistes est souvent liée à un besoin de certitudes dans un monde complexe. Une étude publiée dans l’International Review of Social Psychology montre que les théories du complot offrent souvent des explications simples et accessibles à des événements ou situations qui semblent autrement incompréhensibles. En particulier en période de crise (comme lors de la pandémie de Covid-19), les individus peuvent être plus enclins à chercher des réponses alternatives, surtout si elles contredisent le discours officiel.
Les théories du complot fournissent souvent un récit où les événements sont orchestrés par des forces invisibles, ce qui confère un sentiment de contrôle à ceux qui y croient. Les réseaux sociaux, par leur rapidité de diffusion et leur capacité à faire résonner ces idées auprès de millions de personnes, sont devenus des vecteurs idéaux pour la propagation de telles théories.
L’exposition prolongée aux contenus non régulés
Les plateformes de partage de vidéos comme YouTube et TikTok ont démocratisé la création de contenu, mais cette liberté a un coût. Une étude de 2022 montre que ces plateformes, où la modération est souvent laxiste, sont des espaces où prospèrent les théories complotistes et la désinformation. L’étude met en évidence une corrélation claire entre le temps passé sur ces plateformes et l’exposition à des théories non fondées, particulièrement dans le domaine de la santé. Cela a été observé, par exemple, lors de la diffusion massive de fausses informations autour des vaccins contre le Covid-19.
Les jeunes, qui passent beaucoup de temps sur ces plateformes, sont particulièrement vulnérables à ce type de contenus. Les algorithmes de recommandation poussent les utilisateurs vers des vidéos similaires, même si elles proviennent de sources douteuses. De plus, les créateurs de contenus complotistes exploitent souvent les codes visuels et narratifs populaires chez les jeunes pour rendre leurs vidéos plus attractives, brouillant encore davantage la frontière entre vérité et fiction.
Le manque de littératie numérique et ses conséquences
Le manque de littératie numérique chez les jeunes est un facteur aggravant de la propagation de la désinformation. Selon l’étude de l’IFOP, les jeunes sont non seulement très connectés, mais ils se tournent de plus en plus vers les réseaux sociaux pour s’informer plutôt que vers des médias traditionnels. Cependant, ils manquent souvent des compétences nécessaires pour évaluer la crédibilité des informations qu’ils consomment en ligne. Ce manque de discernement les rend plus vulnérables aux fausses informations, en particulier dans des domaines comme la science, la santé et la politique.
En outre, l’enquête montre que les jeunes ont tendance à croire aux phénomènes paranormaux et à d’autres croyances pseudo-scientifiques, un phénomène exacerbé par l’exposition prolongée à des contenus en ligne qui valorisent ces thématiques. Le risque est que, sans une éducation aux médias adéquate, ces jeunes continuent à s’enfoncer dans des spirales de désinformation, renforçant ainsi leur adhésion aux théories complotistes.
L’adoption de théories complotistes chez les jeunes est de plus en plus liée à l’usage des réseaux sociaux et à la manière dont les informations y sont diffusées. Les algorithmes de recommandation, la nature virale des contenus et le manque de régulation sur certaines plateformes exacerbent cette tendance. Les jeunes, en particulier ceux de la Génération TikTok, se retrouvent dans des écosystèmes numériques où la désinformation prospère, et où les théories complotistes sont présentées de manière attrayante et souvent convaincante.
Le défi consiste alors à renforcer la littératie numérique pour permettre aux jeunes de mieux discerner le vrai du faux et de ne pas se laisser piéger par des chambres d’écho en ligne. Sans cela, les théories complotistes continueront de gagner du terrain, avec des conséquences potentiellement graves sur la perception des événements mondiaux et sur la confiance envers les institutions démocratiques.
Notons enfin que la problématique des théories du complot ne concerne pas que les jeunes utilisateurs. En mars 2024, une enquête IPSOS a montré que si 74% des français estimaient être capables de « faire le tri entre les vraies et les fausses informations sur les réseaux sociaux, 68% d’entre eux pensaient que ce n’était pas le cas pour le reste de la population française » (voir à ce sujet notre article sur le climat normatif). Paradoxalement, 66% des personnes interrogées croyaient à au moins une fake news dont la nature semblait influencée par l’âge des répondants…