Réseaux sociaux, cyberharcèlement et pensées suicidaires chez les adolescents

Les réseaux sociaux font désormais partie intégrante de la vie des adolescents, notamment des plus jeunes (10-14 ans). Mais cette présence accrue en ligne n’est pas sans conséquences sur leur santé mentale, comme le montre une étude italienne récente publiée dans l’International Journal of Bullying Prevention. Cette recherche s’intéresse au lien entre l’utilisation des réseaux sociaux, l’exposition au cyberharcèlement visuel (c’est-à-dire la diffusion non consentie d’images ou de vidéos personnelles), l’apparition de symptômes psychologiques internes (anxiété, dépression) et les pensées suicidaires chez les collégiens.

On fait le point

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Pourquoi cette étude ?

Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 10 à 24 ans dans le monde. Les pensées suicidaires touchent entre 11 et 18 % des adolescents selon les études citées, et sont souvent associées à d’autres troubles psychiques ou à des comportements à risque. Or, la période du début de l’adolescence est particulièrement sensible à l’impact des interactions sociales, notamment celles qui se déroulent en ligne.

Les réseaux sociaux, en particulier ceux qui privilégient l’image (Instagram, TikTok, Snapchat…), sont devenus des espaces où se développent de nouvelles formes de harcèlement. Le cyberharcèlement visuel, qui consiste à partager sans autorisation des photos ou vidéos embarrassantes, est une forme de violence numérique en pleine expansion. Elle est d’autant plus préoccupante que l’impact émotionnel de ces images est souvent plus fort que celui des mots seuls.

Les objectifs de la recherche

L’étude menée par Davide Marengo et ses collègues visait à comprendre comment l’utilisation intensive des réseaux sociaux peut conduire à des pensées suicidaires chez les jeunes adolescents, en passant par plusieurs étapes intermédiaires :

  • L’exposition au cyberharcèlement visuel, soit comme victime (ses propres images sont diffusées sans consentement), soit comme témoin (on reçoit ou on voit des images embarrassantes d’autrui sans intervenir).
  • L’apparition de symptômes psychologiques internes (anxiété, tristesse, isolement…).
  • L’augmentation du risque de pensées suicidaires.

Les chercheurs ont formulé cinq hypothèses principales, testant notamment l’effet de « médiation en série » : plus on utilise les réseaux sociaux, plus on risque d’être exposé au cyberharcèlement visuel (en tant que témoin puis victime), ce qui augmente les troubles psychiques internes, et donc les pensées suicidaires.

Méthodologie

L’enquête a été menée auprès de 1 140 collégiens du nord-ouest de l’Italie, âgés en moyenne de 12,35 ans, avec une légère majorité de filles. Les élèves ont rempli un questionnaire anonyme portant sur :

  • Leur utilisation des réseaux sociaux (fréquence d’utilisation de WhatsApp, YouTube, TikTok, Instagram, Snapchat, Twitter, Messenger, Facebook et autres applications).
  • Leur exposition au cyberharcèlement visuel, en tant que victime (« Des images embarrassantes de moi ont été diffusées sans ma permission ») ou témoin (« J’ai reçu des images embarrassantes de quelqu’un, je les ai vues mais je n’ai rien fait »).
  • Leurs symptômes psychologiques internes, mesurés par un questionnaire standardisé (anxiété, tristesse, problèmes relationnels…).
  • La présence de pensées suicidaires.
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Quels sont les principaux résultats ?

1. Les réseaux sociaux, omniprésents chez les jeunes

  • Près de 98 % des participants utilisaient WhatsApp et YouTube, 68 % TikTok, 62 % Instagram, et 45 % Snapchat. Les autres plateformes étaient moins utilisées.
  • Plus un adolescent utilise de plateformes différentes, plus il est exposé à des contenus visuels, donc potentiellement à des situations de cyberharcèlement visuel.

2. Le cyberharcèlement visuel, un phénomène courant

L’étude montre que l’exposition au cyberharcèlement visuel, que ce soit en tant que témoin ou victime, est fréquente. Les jeunes qui passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux sont plus susceptibles d’être témoins d’images embarrassantes diffusées sans consentement, et ce rôle de témoin augmente le risque de devenir soi-même victime.

3. L’impact psychologique du cyberharcèlement visuel

  • Être exposé à ces situations, même en tant que simple témoin, est associé à une augmentation des symptômes psychologiques internes : anxiété, tristesse, retrait social, etc.
  • Cet effet est encore plus marqué chez les victimes directes, qui subissent une double peine : l’humiliation publique et l’angoisse qui en découle.

4. Le lien avec les pensées suicidaires

  • Plus les symptômes psychologiques internes sont élevés, plus le risque de pensées suicidaires augmente.
  • L’étude confirme l’existence d’un cheminement en cascade : utilisation intensive des réseaux sociaux → exposition comme témoin → victimisation → troubles psychiques internes → pensées suicidaires.
Pourquoi ces résultats sont-ils importants ?

Cette recherche met en lumière un phénomène encore peu étudié : le rôle du cyberharcèlement visuel dans la détérioration de la santé mentale des jeunes adolescents. Elle montre que le simple fait d’être témoin de la diffusion d’images embarrassantes peut déjà avoir un impact négatif sur le bien-être psychique, même sans être directement visé. Ce rôle de « spectateur passif » est souvent sous-estimé, alors qu’il contribue à la propagation du malaise et à la banalisation du harcèlement.

De plus, l’étude rappelle que les plateformes visuelles sont particulièrement propices à ces dérives, car les images et vidéos circulent très vite et peuvent être difficiles à contrôler une fois diffusées. Les adolescents, en pleine construction de leur identité et de leur estime de soi, sont particulièrement vulnérables à ce type d’atteinte.

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Quelles pistes pour agir ?

Les auteurs insistent sur l’importance de développer des programmes d’éducation au numérique dès le collège. Il s’agit d’apprendre aux jeunes à :

  • Reconnaître les situations de cyberharcèlement visuel et à ne pas y participer, même passivement.
  • Réfléchir avant de partager ou de commenter des images.
  • Savoir demander de l’aide en cas de problème, que l’on soit victime ou témoin.
  • Développer des compétences de résilience face à la pression sociale et aux dérives des réseaux.

Les plateformes elles-mêmes pourraient aussi renforcer leurs outils de signalement et de contrôle de la diffusion des images, pour mieux protéger les utilisateurs les plus jeunes.

Conclusion

L’étude de Marengo et al. souligne que la santé mentale des jeunes adolescents est aujourd’hui étroitement liée à leur vie numérique. Le cyberharcèlement visuel, facilité par l’essor des réseaux sociaux visuels, constitue un risque réel pour leur bien-être psychique et peut conduire, par une succession d’étapes, à des pensées suicidaires. La prévention passe par l’éducation, la vigilance collective et une meilleure régulation des pratiques en ligne, pour faire des réseaux sociaux des espaces plus sûrs pour tous.