Vers un lien entre temps d’écran et troubles du spectre autistique ? 

À l’ère du numérique, l’usage croissant des écrans chez les jeunes enfants soulève de nombreuses interrogations, notamment concernant leur impact sur les troubles du spectre autistique (TSA). Une revue systématique récente explore en profondeur cette relation complexe, en examinant les risques liés à une exposition précoce aux écrans, les habitudes des personnes autistes en matière d’utilisation numérique, et leur vulnérabilité à l’addiction. 

Nous vous demandons dès à présent de garder en mémoire que les conclusions de cette revue systématique incluant 30 études et 356 666 participants, reposent sur des niveaux preuves faibles. Il convient donc extrêmement prudent quant à leurs interprétations et leur généralisation.

On vous explique.

TSA temps d'écran

L’exposition précoce aux écrans : un facteur de risque pour le TSA ? 

Certaines études scientifiques mettent en évidence une corrélation significative entre le temps passé devant les écrans à un âge précoce et un risque accru de TSA. Par exemple, il a été observé que les enfants exposés dès l’âge d’un an sont plus susceptibles de recevoir un diagnostic d’autisme à l’âge de trois ans. Ce risque augmente proportionnellement à la durée quotidienne d’exposition : une utilisation dépassant trois heures par jour double quasiment la probabilité de développer des symptômes liés au TSA. 

Plusieurs explications ont été avancées : 

1. Interférences développementales : Les contenus numériques captivent l’attention des enfants au détriment des interactions sociales, essentielles pour le développement du cerveau social et des fonctions cognitives supérieures. 

2. Théorie du déplacement : Le temps passé devant les écrans remplace d’autres activités nécessaires au développement global de l’enfant, comme le jeu libre ou les échanges avec les parents. 

3. Effets neurologiques : Une exposition prolongée peut affecter négativement certaines structures cérébrales, notamment la matière blanche, ce qui entrave le développement du langage et des compétences sociales. 

Cependant, il est important de noter que cette relation n’est pas nécessairement causale. Les enfants présentant des signes précoces de TSA pourraient également être davantage attirés par les écrans avant même d’être diagnostiqués. 

Par ailleurs, d’autres études ne retrouvent pas de liens entre TSA et temps d’écran. L’hétérogénéité des méthodes d’investigation et les difficultés d’établir un protocole expérimental incontestable est probablement à l’origine de ces résultats contradictoires.

Les personnes autistes et leur relation particulière aux écrans.

Les personnes atteintes de TSA ont tendance à passer plus de temps devant les écrans que leurs homologues non-autistes. Une méta-analyse révèle qu’elles consomment en moyenne 1,6 fois plus de contenu numérique quotidiennement. Cette utilisation accrue pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs : 

– Évitement social : Les écrans offrent un environnement structuré et contrôlé, permettant d’échapper aux défis liés aux interactions en face-à-face. 

– Centres d’intérêt restreints : Les contenus numériques permettent d’explorer intensément des sujets ou activités spécifiques, correspondant aux intérêts particuliers des personnes autistes. 

– Difficultés d’autorégulation : Certains traits autistiques, comme une faible inhibition des impulsions, peuvent favoriser une utilisation excessive. 

Pour de nombreuses personnes autistes, les écrans ne sont pas uniquement une source de distraction, mais aussi un outil de communication ou un moyen d’apprentissage adapté. Néanmoins, une utilisation excessive peut renforcer l’isolement social et exacerber certains symptômes. 

TSA temps d'écran

L’addiction aux écrans : un risque accru chez les personnes autistes.

Un autre aspect préoccupant est la forte prévalence de comportements addictifs liés aux écrans chez les personnes atteintes de TSA. Celles-ci seraient 2 à 3 fois plus susceptibles de développer des addictions numériques, qu’il s’agisse d’addiction à Internet, aux jeux vidéo ou aux smartphones. 

Ces comportements problématiques peuvent engendrer des conséquences négatives significatives : troubles du sommeil, anxiété et dépression, isolement accru. 

Il est donc essentiel d’adopter une approche équilibrée pour limiter les effets néfastes tout en tenant compte des avantages potentiels que les écrans peuvent offrir. 

Limites des recherches actuelles et besoins futurs 

Bien que cette revue systématique fournisse des pistes intéressantes, elle met également en lumière des failles méthodologiques dans les études actuelles : 

1. Biais dans la collecte des données : Les estimations reposent souvent sur les déclarations des parents ou des participants, sujettes à des erreurs de mémoire ou des biais de perception. 

2. Absence de prise en compte des facteurs confondants : Les influences génétiques, le contexte familial ou encore les habitudes éducatives ne sont pas systématiquement intégrées dans les analyses. 

3. Variabilité des résultats : Les conclusions divergent selon les populations étudiées, les outils de diagnostic utilisés et les définitions du temps d’écran. 

4. Les recherches font rarement la différence entre les différents types d’écran (télévision, ordinateur, smartphone…), ainsi que l’utilisation qui en est faite. Ceci représente un biais méthodologique important.

Pour surmonter ces obstacles, il est essentiel de : 

– Standardiser les méthodes de recherche et privilégier des mesures objectives (applications enregistrant l’utilisation des écrans). 

– Explorer l’impact des contenus spécifiques (passifs, comme regarder des vidéos, ou interactifs, comme les jeux éducatifs). 

– Prendre en compte les caractéristiques individuelles, comme le sexe ou les différences culturelles, qui peuvent influencer les comportements liés aux écrans. 

Conseils pour les parents et les professionnels 

Les conclusions de cette étude soulignent l’importance de mieux encadrer l’utilisation des écrans, particulièrement pour les jeunes enfants. Voici quelques recommandations : 

– Limiter le temps d’écran: Respecter les directives des professionnels de santé, qui suggèrent de ne pas exposer les enfants de moins de 3 ans aux écrans, puis de les introduire progressivement et méthodiquement en respectant certains âges pivots. 

– Choisir des contenus adaptés : Privilégier les programmes interactifs ou éducatifs qui encouragent les apprentissages et les échanges. 

– Encourager les activités hors écran : Offrir des alternatives enrichissantes, comme les jeux en plein air, la lecture ou les activités artistiques. 

– Partager l’utilisation des écrans : Accompagner les enfants lors de l’utilisation pour favoriser les interactions et guider leurs choix. 

– Limiter l’usage des écrans des parents en présence de leurs enfants pour éviter la technoférence.

Pour les personnes autistes, une approche personnalisée est nécessaire. Les écrans peuvent constituer un soutien précieux pour les apprentissages ou la communication, mais leur usage doit être encadré pour éviter des comportements problématiques. 

TSA temps d'écran

Le lien entre le temps d’écran et les troubles du spectre autistique reste un sujet complexe, mêlant facteurs biologiques, génétiques, sociaux et environnementaux. Cette revue met en lumière des associations significatives (mais fondées sur des niveaux de preuve faibles) entre l’exposition précoce aux écrans et le risque de TSA, tout en soulignant l’attrait particulier des écrans pour les personnes autistes. 

Il est donc aujourd’hui impossible d’établir (ou pas) un lien certain entre temps d’écran et TSA, notamment à cause de trop grandes approximations méthodologiques.

L’INSERM précise d’ailleurs qu’il est désormais bien établi « que les TSA ont une origine multifactorielle, avec une forte composante génétique. Être un garçon et présenter des antécédents familiaux sont deux facteurs de risque reconnus. L’intervention de facteurs environnementaux – neuroinflammation, virus, toxiques … – durant la grossesse est également possible, mais leur nature exacte n’est pas encore connue. Une naissance prématurée constitue un autre facteur de risque établi et important. Par ailleurs, certains médicaments antiépileptiques administrés à la mère au cours de la grossesse, comme la Depakine, sont actuellement sur la sellette ».

Comme le précise cette étude, le rôle des écrans dans la survenue d’un TSA est difficile à définir. Des recherches de qualités méthodologiques très hétérogènes, inversant parfois les liens de causalité, nous empêchent d’appréhender correctement l’existence (ou pas) d’un lien entre activités numériques et autisme.

Pour les parents et les professionnels, l’enjeu est d’adopter une approche réfléchie et équilibrée : maximiser les bénéfices des outils numériques tout en limitant leurs effets négatifs. En encadrant leur utilisation, il est possible de répondre aux besoins des enfants et des personnes autistes tout en favorisant leur développement et leur bien-être.