Effets d’internet sur le cerveau des adolescents.

L’effet d’internet sur le cerveau des adolescents est un sujet d’étude de plus en plus important en psychologie. Si nous rencontrons encore beaucoup d’articles assimilant le trouble du jeu vidéo et la cyberaddiction pour comprendre comment internet modifie le fonctionnement et la structure du cerveau de nos jeunes, un nombre croissant de chercheurs se concentrent aujourd’hui sur des personnes présentant des troubles de l’usage d’internet pour en étudier directement les conséquences cérébrales.

Avant de commencer cette présentation, nous vous demandons de garder en tête que la plupart des études suivantes évaluent le fonctionnement du cerveau en laboratoire et qu’il n’est pas certain que les résultats soient toujours transposables dans la « vraie vie ». De plus, l’analyse de régions cérébrales en IRM ne présage pas complètement de la réalité de leur atteinte ou de leur intégrité fonctionnelle. Le cerveau est une machine très complexe et encore très mystérieuse.

On fait le point…

Un lien entre la cyberaddiction, la structure du cerveau et le capital social.

Le premier article présenté aujourd’hui, explore la corrélation entre l’addiction à Internet, la structure du cerveau, et le capital social chez les jeunes âgés de 10 à 18 ans. L’adolescence est une période critique marquée par des changements cérébraux et sociaux importants.  Chez les adolescents, l’addiction à Internet est notamment problématique en raison de l’isolement social qu’elle génère.

Par isolement social, nous entendons ici la diminution des relations sociales réelles. Bien que certains échanges sur les réseaux sociaux puissent avoir des bienfaits par exemple sur la santé mentale, l’estime de soi et le sentiment d’appartenance des adolescents, ces bénéfices sont toujours supérieurs lorsque ces échanges ont lieu avec des « vrais » amis. Un capital social élevé, c’est-à-dire un réseau riche de relations sociales, pourrait donc améliorer le bien-être des adolescents et protéger contre la cyberaddiction.

Cette étude s’intéresse spécifiquement au cortex préfrontal dorsolatéral gauche (DLPFC), une région du cerveau impliquée dans l’auto-contrôle. L’hypothèse des chercheurs est que la taille de cette région est corrélée à la fois à l’addiction à Internet et au capital social. Les résultats montrent qu’une diminution du volume du DLPFC est associée à une gravité accrue de l’addiction à Internet, tandis qu’un volume plus important est lié à un capital social élevé.

De plus, une analyse de corrélation révèle que la gravité de l’addiction à Internet et le capital social sont négativement corrélés (c’est-à-dire que lorsque l’un augmente, l’autre diminue, et inversement). Cependant, lorsque le volume du DLPFC est pris en compte comme facteur de contrôle, cette corrélation n’est plus significative, suggérant que le DLPFC pourrait jouer un rôle médiateur entre ces deux variables.

L’addiction à Internet est considérée comme un trouble du contrôle des impulsions, et la diminution du volume du DLPFC pourrait en être un facteur clé. En effet, cette région du cerveau est impliquée dans l’auto-contrôle et la régulation émotionnelle.

De plus, un faible capital social, reflétant un manque de confiance et de satisfaction dans les relations sociales réelles, ne pourra pas jouer de rôle protecteur face à l’addiction à Internet. L’étude souligne également que l’auto-contrôle, soutenu par le DLPFC, est crucial pour éviter l’isolement social et l’addiction.

Autrement dit, le capital social et le DLPFC sont interdépendants et peuvent jouer, selon les cas, un rôle de protection ou de fragilisation face à l’addiction à internet.

Toutefois, l’étude est limitée par son échantillon de petite taille et sa méthodologie transversale, ce qui empêche de tirer des conclusions causales. Des recherches futures, notamment longitudinales, sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents et la direction de la causalité entre ces facteurs.

Cette recherche démontre donc une association entre l’addiction à Internet, la structure cérébrale, et le capital social, suggérant que des interventions visant à améliorer l’auto-contrôle et le capital social pourraient réduire l’addiction à Internet chez les adolescents. Autrement dit, le simple fait d’avoir davantage de « vrais » amis pourrait être un facteur de protection face à la cyberaddiction et au mal-être des adolescents.

Internet et développement du cerveau.

Le second article proposé aujourd’hui explore l’impact de l’utilisation des médias sur le développement cérébral des adolescents. Les jeunes d’aujourd’hui ont toujours évolué dans un monde saturé par les médias, et ont toujours eu une utilisation quotidienne importante des smartphones et des plateformes de réseaux sociaux. Les auteurs ont souhaité comprendre comment ces technologies influençaient le développement du cerveau, en particulier les régions liées aux interactions sociales, à l’émotion et à la prise de décision.

Durant l’adolescence, les jeunes sont plus sensibles à l’acceptation ou au rejet social. Les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans la régulation de ces sentiments. Les recherches montrent que les adolescents réagissent fortement au rejet social, qui peut déclencher des activités dans des zones cérébrales comme le cortex cingulaire antérieur (ACC) et l’insula. Ces régions sont associées à la régulation émotionnelle et au traitement des violations des normes sociales. Les études utilisant des paradigmes comme le Cyberball (un jeu de balle virtuel visant à étudier l’exclusion sociale) ou des simulations de réseaux sociaux montrent que l’exclusion sociale en ligne active les mêmes zones du cerveau que le rejet dans la « vraie vie ».

L’acceptation sociale, quant à elle, active le striatum ventral, une région associée à la récompense et au plaisir. Des études ont révélé que le nombre de « likes » et les commentaires positifs sur les réseaux sociaux activent ces mêmes circuits de récompense, renforçant le comportement d’utilisation des médias chez les adolescents. Cela peut également expliquer pourquoi certains jeunes sont plus sensibles à la recherche d’approbation en ligne, influençant leur estime de soi et leur bien-être émotionnel.

Autrement dit, qu’il s’agisse de réactions positives ou négatives, les interactions virtuelles auront le même impact sur le cerveau des adolescents que des interactions dans la « vraie vie ».

L’influence des pairs en ligne est également un facteur déterminant dans le comportement des adolescents. Les études montrent que les jeunes ajustent souvent leurs opinions ou comportements en fonction des commentaires ou du feedback de leurs pairs. Cela est particulièrement visible dans des domaines comme l’image corporelle, où la comparaison avec les autres et la pression des pairs peuvent conduire à une insatisfaction corporelle, notamment chez les filles.

Enfin, le comportement des adolescents est souvent guidé par leurs émotions, et ceux qui ont des difficultés à les réguler peuvent être plus enclins à être influencés par des contenus antisociaux ou risqués. Ceci confirme le rôle central de l’auto-contrôle évoqué dans la première étude, mais des recherches sont encore nécessaires pour mieux comprendre comment le cerveau adolescent traite ces influences médiatiques et comment des interventions ciblées pourraient aider à réduire les effets négatifs.

internet et cortex

Internet santé mentale et cortex.

Le troisième article proposé ici explore en profondeur les effets de la technologie numérique sur la santé du cerveau, tant positifs que négatifs. Avec l’utilisation croissante des écrans et des plateformes numériques dans tous les aspects de la vie moderne, il est essentiel de comprendre comment cela influence le développement et le fonctionnement du cerveau.

L’un des principaux points de l’article est l’impact des technologies numériques sur l’attention. Les études montrent que le temps passé devant les écrans, en particulier lorsqu’il est combiné avec le multitâche, peut conduire à une réduction de la capacité d’attention. Les adolescents et les adultes qui utilisent fréquemment leurs appareils pour des activités telles que les jeux vidéo ou les réseaux sociaux présentent souvent des symptômes comparables au TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité). Cette association est notamment liée à l’interruption fréquente de l’attention et aux demandes de multitâche inhérente à l’utilisation de ces appareils. Le multitâche régulier compromet les capacités de concentration sur une tâche unique, réduisant ainsi l’efficacité cognitive.

L’article souligne également les effets néfastes sur la santé émotionnelle et sociale. Les jeunes, particulièrement sensibles aux stimuli sociaux, sont souvent privés d’interactions en face à face en raison du temps passé devant les écrans. Cela réduit leur capacité à communiquer et à interpréter les signaux sociaux non verbaux, tels que les expressions faciales et les émotions. Mais ces perturbations sont heureusement réversibles car des études menées sur des enfants privés d’écrans pendant quelques jours montrent une amélioration significative de leur capacité à reconnaître les émotions et à interagir socialement. Cela met en évidence l’importance des interactions réelles pour le développement émotionnel et social (cf. première et deuxième études).

Pourtant, comme nous l‘avons vu dans la première étude, l’utilisation excessive des réseaux sociaux peut conduire à un isolement social. Paradoxalement, alors que ces plateformes sont censées connecter les individus, elles vont souvent induire un sentiment accru de solitude. Le phénomène de comparaison sociale sur les réseaux, où les utilisateurs sont exposés à des vies idéalisées, exacerbe ce sentiment d’isolement social perçu et induit un malaise émotionnel.

Différentes études montrent d’ailleurs que le mal-être des adolescents relatif à l’utilisation des réseaux sociaux serait principalement dû à ce phénomène de comparaison sociale.

Malgré ces aspects négatifs, l’article reconnaît que les technologies numériques peuvent également avoir des effets positifs sur la santé cérébrale, mais principalement chez les personnes âgées (exercice mental stimulant activant des circuits neuronaux essentiels au raisonnement complexe et à la prise de décision). Des études d’imagerie cérébrale ont montré que les personnes âgées qui se familiarisent avec l’utilisation d’Internet voient une augmentation de l’activité cérébrale, indiquant un renforcement de ces réseaux neuronaux.

Enfin, l’article explore le potentiel des applications numériques dans les interventions de santé mentale. Des programmes en ligne, comme des thérapies cognitivo- comportementales ou des applications de gestion du stress, offrent des avantages considérables en matière d’accessibilité et de soutien. Ils permettent aux utilisateurs de gérer leurs symptômes d’anxiété, de dépression ou de troubles du sommeil grâce à des exercices guidés ou des suivis automatisés.

De ce point de vue, l’Observatoire Psycho-Social du Numérique vous met en garde sur les données de santé que vous fournissez à ces opérateurs.

internet cerveau adolescent

L’utilisation des technologies numériques a donc des effets contrastés sur la santé du cerveau. D’un côté, une utilisation excessive peut entraîner des troubles de l’attention, une baisse de l’intelligence émotionnelle, et un isolement social. D’un autre côté, lorsqu’elles sont bien gérées, ces technologies offrent des possibilités d’amélioration cognitive, en particulier chez les personnes âgées.

Il semble admis que les relations « réelles » soient un facteur de protection face à la cyberaddiction et au mal-être chez l’adolescent, comparativement aux relations virtuelles. L’auto-contrôle, géré principalement au niveau du cortex préfrontal, est également considéré comme un facteur de protection lorsqu’il est efficace.

Malheureusement, une méta analyse de 2021 établit que l’usage problématique d’internet s’accompagne souvent d’une réduction de la matière grise au niveau des régions dorsolatérales du cortex préfrontal ainsi qu’au niveau du cortex cingulaire, c’est à dire justement dans les régions cérébrales impliquées dans le circuit de la récompense et le contrôle inhibiteur top-down. L’utilisation massive d’internet va donc nuire aux capacités d’auto-contrôle qui sont justement celles qui pourraient protéger l’adolescent d’une consommation problématique. Le jeune consommateur va donc se retrouvé pris au piège d’un cercle vicieux.

Les auteurs ne sont pas en mesure d’expliquer cette différence de volume cérébral, ni les conséquences cognitives ou psychologiques qui en résultent. Il est pourtant probable que cela soit préjudiciable aux capacités d’auto-contrôle.

De plus, et pour appuyer ces résultats, une revue de littérature de 2024 confirme les troubles de connectivité fonctionnelle dans le réseau du mode par défaut (impliqué dans la mémoire, les émotions, l’introspection et potentiellement l’anxiété et des émotions négatives), dans le réseaux du contrôle exécutif (pensée active, pensée consciente, résolution de problèmes, réflexion…) et dans le circuit de la récompense.

Un article explorant les effets neurologiques du trouble du jeu vidéo en ligne montre des résultats comparables sur le cortex préfrontal: les individus atteints de ce trouble ont plus de mal à contrôler leurs envies de jouer, en particulier lors de l’exposition à des signaux liés au jeu. Ces joueurs montrent aussi une moindre sensibilité à la perte, un signe d’altération des mécanismes de récompense et de prise de décision.

internet cerveau adolescent

On le voit, l’usage intensif d’Internet semble avoir des répercussions sur la structure du cerveau, et par conséquent, sur les fonctions cognitives que ces structures sous-tendent. Ainsi le lobe frontal semble particulièrement vulnérable à un usage important d’internet, et les fonctions d’auto-contrôle, les fonctions exécutives et le contrôle émotionnel en sont les principales victimes, L’atteinte des noyaux sous-corticaux et l’hippocampe qui constituent en partie le circuit du mode par défaut vont perturber la cognition et la mémoire.

Il convient donc d’être vigilent quant à l’usage numérique laissé à nos adolescents, en terme de temps passé sur les écrans et surtout de contenus consultés. Moins de temps sur les écrans, c’est aussi la possibilité de créer davantage de relations « réelles » qui constituent un facteur de protection contre l’addiction et le mal-être.