Internet et théories du complot (1/2)

Les théories du complot (TC) n’ont pas attendu l’invention d’internet pour exister. Les explications alternatives de l’assassinat de JFK en 1963, ou les controverses liées au premier alunissage en 1969 en sont les témoins. Mais avec internet, ce phénomène auparavant assez confidentiel est devenu un véritable enjeu pour nos sociétés contemporaines. L’impact du temps passé sur Internet et les réseaux sociaux sur l’adoption des théories complotistes est une problématique croissante dans un monde hyperconnecté.

Il est clair que les jeunes, en particulier, sont de plus en plus influencés par des contenus en ligne, souvent non régulés, qui peuvent les conduire à adhérer à des croyances erronées. Ces croyances vont de la désinformation scientifique aux théories complotistes les plus farfelues.

Cette synthèse explore le lien entre la consommation de contenu en ligne et l’adhésion aux théories du complot.

Comment internet favorise la circulation des TC ?

Une étude très connue du Massachusetts Institute of Technology (MIT), publiée dans la revue Science, a analysé 126 000 histoires sur Twitter partagées entre 2006 et 2017. Elle a révélé que les fausses nouvelles ont 70 % plus de chances d’être retweetées que les informations vraies. En moyenne, il faut environ six fois plus de temps aux informations vérifiées pour atteindre 1 500 personnes par rapport aux fausses nouvelles.

Les théories du complot sont souvent des histoires sensationnelles ou choquantes qui jouent sur les émotions comme la peur ou la colère. Ces histoires, même fausses, ont un potentiel viral bien plus important que les faits avérés, qui sont généralement plus nuancés et moins spectaculaires, et sont donc partagées plus rapidement sans vérifications préalables.

De plus, les plateformes numériques favorisent la propagation des fausses informations en raison de leurs algorithmes, qui mettent en avant les contenus générant le plus d’engagement (likes, partages, commentaires). Les fausses informations, étant souvent plus engageantes, sont donc davantage poussées par les algorithmes. Même lorsque les fausses informations sont corrigées, la correction ou la vérification factuelle a beaucoup moins d’impact. Les fake news continuent de circuler même après avoir été démenties, car la correction ne parvient souvent pas à toucher tous ceux qui ont été exposés à l’information initiale.

théorie du complot

Théorie du complot, de quoi parle-t-on ?

La définition des théories du complot selon Brian Keeley (1999) se concentre sur l’idée que ces théories sont des explications d’événements importants, souvent à caractère politique ou social, qui invoquent l’action secrète d’un petit groupe d’individus puissants ou influents. Keeley distingue ces théories de celles proposées par les sources officielles, qu’il appelle les « théories standards » ou « versions officielles ».

Dans cette perspective, une théorie du complot postule que ces groupes dissimulent leurs actions au public, ce qui rend difficile la vérification de leurs affirmations. Par exemple, Keeley met en avant le caractère intrinsèquement non falsifiable de certaines théories du complot, car chaque preuve réfutant la théorie est souvent interprétée comme une preuve supplémentaire du complot lui-même. Autrement dit, plus vous essayez d’infirmer une théorie du complot, plus vous la validez pour les complotistes (mais si vous ne dites rien, vous la validez aussi).

Cette définition met donc en lumière deux éléments essentiels : d’une part, l’idée qu’un petit groupe de conspirateurs est responsable d’un événement, et d’autre part la nature cachée et secrète de leurs actions, ce qui les rend difficiles à démanteler.

Keeley attire également l’attention sur le fait que les théories du complot ne sont pas toujours fausses, car certaines conspirations réelles ont été découvertes au fil du temps. Cependant, la difficulté réside dans leur vérification en raison du caractère secret des actions alléguées.

Pascal Wagner-Egger précise que le terme « théorie » est souvent mal choisi car il n’y a en général pas de théorie à proprement parlé, mais plutôt « une simple suspicion de l’existence d’un complot, basé sur des données erratiques et non des preuves directes ».

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Pourquoi croit-on (ou pas) aux théories du complot ?

Sylvain Delouvée et Sébastian Dieguez mettent en avant le rôle des biais cognitifs, qui sont des raccourcis mentaux nous conduisant à tirer des conclusions rapidement. Les théories du complot répondent souvent à un besoin de simplifier des situations complexes.

Ces auteurs invoquent également la pensée intuitive qui joue un rôle important, car elle pousse les individus à accepter des explications qui semblent cohérentes et immédiates, sans analyse approfondie. Les théoriciens du complot ont donc tendance à attribuer des événements complexes à des actions délibérées et intentionnelles d’individus ou de groupes puissants, plutôt qu’à des coïncidences ou des facteurs aléatoires.

Ensuite, la croyance dans les théories du complot est souvent liée à une méfiance générale envers les institutions et les autorités. Cela peut inclure des gouvernements, des entreprises, des médias, ou des experts scientifiques. Ce sentiment de méfiance pousse les individus à remettre en question les explications officielles et à se tourner vers des récits alternatifs.

De plus, les théories du complot naissent souvent dans des contextes où les individus se sentent impuissants ou désorientés face à des événements qu’ils ne contrôlent pas. Croire au complot permet de réaffirmer une forme de contrôle, car cela donne l’impression de comprendre ce qui se passe en coulisses et de ne pas être dupé par les « officiels ». Autrement dit, en attribuant des événements à des plans secrets, les gens peuvent avoir l’impression de mieux comprendre la réalité, ce qui peut apaiser un sentiment de vulnérabilité ou d’incertitude.

Par ailleurs, dans des situations complexes ou difficiles à comprendre où plusieurs facteurs peuvent intervenir, les théories du complot offrent des explications simplifiées et cohérentes, qui peuvent être plus faciles à accepter que la réalité souvent chaotique et incertaine. Ces récits sont donc généralement plus séduisants que la réalité.

La croyance en des théories du complot peut aussi renforcer un sentiment d’appartenance à un groupe qui partage des valeurs ou des croyances similaires. Cela permet de renforcer l’identité personnelle ou collective, en particulier chez ceux qui se sentent marginalisés ou exclus. Croire à une théorie du complot permet donc de se différencier des autres et de renforcer son identité en tant que membre d’un groupe qui « sait » la vérité. Cela peut offrir un sentiment de supériorité intellectuelle ou morale face à ceux qui suivent la version officielle. « Nous sommes les plus malins, les autres sont des moutons… ». La dimension communautaire est également forte : en adhérant à une théorie du complot, les individus trouvent souvent un groupe avec lequel partager leurs idées, ce qui peut renforcer leur appartenance sociale.

Au reste, Pascal Wagner-Egger suggère que les personnes qui croient aux théories du complot présentent des traits de personnalité particuliers, tels que le manque de confiance, la pensée paranoïaque, ou des tendances narcissiques.

Enfin, selon Delouvée, les théories du complot trouvent un terrain fertile dans les périodes de crise ou de bouleversement, comme les crises économiques, les pandémies ou les conflits politiques. Ces périodes d’incertitude renforcent le besoin de trouver des coupables, des explications, et de combler un vide laissé par l’incapacité à comprendre ou à accepter la complexité des événements.

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Pour approfondir, en plus des références déjà citées, nous vous conseillons la lecture du livre de Pascal Wagner-Egger et les podcasts de Radio France avec Rudy Reichstadt (de Conspiracy Watch): complorama.