Votre mémoire et l’effet Google

Connaissez-vous l’effet de Google (et des autres moteurs de recherche) sur votre mémoire ? Une étude menée par Betsy Sparrow, Jenny Liu et Daniel M. Wegner en 2011 met en évidence un phénomène fascinant : l’existence d’une mémoire transactionnelle avec Internet, où nous nous souvenons davantage de l’endroit où trouver l’information plutôt que de l’information elle-même.

On vous explique.

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L’avènement d’Internet a profondément modifié notre rapport à l’information. Aujourd’hui, une simple recherche sur Google nous permet d’obtenir une réponse instantanée à presque toutes nos questions. Mais comment cette facilité d’accès influence-t-elle notre mémoire et notre façon d’apprendre ? Et d’ailleurs, est-ce que la mémoire a toujours une utilité à l’ère d’Internet ?

Internet : un prolongement de notre mémoire

L’étude démontre que nous avons tendance à externaliser notre mémoire en stockant des informations non plus dans notre cerveau, mais dans notre environnement numérique. Ce phénomène, connu sous le nom de mémoire transactionnelle, était autrefois limité aux groupes sociaux : nous comptions sur nos proches ou collègues pour se souvenir d’informations que nous pouvions facilement leur demander. Aujourd’hui, ce rôle est largement occupé par les moteurs de recherche.

Les chercheurs ont mené plusieurs expériences pour tester les hypothèses suivantes :

  1. Lorsqu’on pose des questions difficiles aux participants, ils sont instinctivement enclins à penser aux ordinateurs et à Internet avant même d’essayer de se rappeler la réponse par eux-mêmes.
  2. Si les participants s’attendent à pouvoir retrouver une information plus tard, ils la retiennent moins bien.
  3. À l’inverse, ils se souviennent mieux du chemin pour retrouver cette information (comme le nom du fichier ou de la source) que de l’information elle-même.

Expérience 1 : Pensons-nous automatiquement à Google ?

Dans cette première expérience, les chercheurs voulaient déterminer si nous étions conditionnés à penser à Internet lorsque nous rencontrons une question difficile. Pour cela, ils ont demandé aux participants de répondre à une série de questions de culture générale, certaines faciles et d’autres difficiles.

Après avoir répondu aux questions, les participants devaient effectuer un test de Stroop modifié. Ce test consiste à nommer la couleur d’un mot affiché à l’écran sans lire ce mot (ce test a été popularisé par un jeu vidéo sur la console Nintendo DS). Dans cette version de l’expérience, certains mots étaient liés aux ordinateurs (comme « Google », « Yahoo », « ordinateur ») tandis que d’autres étaient des mots neutres.

Résultat : après avoir été confrontés à des questions difficiles, les participants avaient un temps de réaction plus court face aux mots liés aux ordinateurs que face aux mots neutres. Cela suggère que lorsqu’ils ne connaissent pas une réponse, leur cerveau est immédiatement conditionné à penser aux ordinateurs et à Internet comme source d’information (amorçage).

Expérience 2 : L’oubli délibéré

Cette expérience visait à tester si le fait de savoir qu’une information est accessible en ligne réduit notre capacité (ou notre volonté) à la mémoriser.

Les participants devaient lire et taper des affirmations étranges (ex. : « L’œil d’une autruche est plus grand que son cerveau »). Ensuite, ils étaient divisés en deux groupes :

  • Un groupe pensait que les informations qu’ils avaient tapées allaient être enregistrées sur l’ordinateur.
  • L’autre groupe croyait que tout serait effacé après avoir tapé les affirmations.

Après cela, tous les participants ont été testés sur leur capacité à se souvenir de ces affirmations.

Résultat : ceux qui pensaient que les informations seraient effacées ont eu une meilleure mémoire des faits que ceux qui pensaient pouvoir y accéder plus tard. Cela confirme que nous faisons moins d’efforts pour retenir des informations si nous savons qu’elles seront disponibles ailleurs.

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Expérience 3 : Se souvenir de « où » plutôt que de « quoi »

Cette expérience a poussé l’idée encore plus loin : au lieu d’évaluer si les participants se souvenaient des faits, les chercheurs ont voulu tester s’ils retenaient mieux l’endroit où l’information était stockée.

Les participants ont de nouveau tapé des affirmations étranges. Cette fois, certaines étaient enregistrées dans des dossiers aux noms génériques (ex. : « Faits », « Données », « Infos »), tandis que d’autres étaient effacées immédiatement après la saisie.

Lors du test de mémoire, les participants ont été interrogés sur deux points :

  1. Pouvaient-ils se rappeler du contenu des affirmations ?
  2. Se souvenaient-ils du dossier où chaque affirmation avait été enregistrée ?

Résultat : les participants se rappelaient mieux du dossier dans lequel les affirmations avaient été sauvegardées que du contenu exact des affirmations elles-mêmes.

Ce résultat est fascinant, car il montre que nous ne faisons pas seulement confiance à Internet comme un espace de stockage d’information : nous avons aussi développé une mémoire spécialisée pour nous rappeler retrouver une information, plutôt que la mémoriser directement.

Expérience 4 : Le réflexe du « où »

Dans cette dernière expérience, les chercheurs ont testé la mémoire de localisation d’informations en allant encore plus loin.

Comme dans l’expérience 3, les participants ont lu et tapé des affirmations étranges, en sachant qu’elles seraient sauvegardées dans des dossiers spécifiques. Plus tard, ils ont passé un test de mémoire en deux étapes. Tout d’abord ils devaient écrire le maximum d’affirmations dont ils se souvenaient, puis pour chaque affirmation qu’ils n’avaient pas retenue, ils devaient essayer de se souvenir dans quel dossier elle avait été enregistrée.

Enfin, ils devaient répondre à deux questions :

  1. Pouvaient-ils se souvenir de l’affirmation exacte ?
  2. Pouvaient-ils se rappeler du dossier dans lequel elle avait été enregistrée ?

Résultat : les participants étaient bien meilleurs pour se rappeler trouver l’information que pour se souvenir du contenu exact. Ce phénomène illustre comment notre cerveau privilégie la mémorisation des chemins d’accès plutôt que des informations elles-mêmes.

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Conséquences de cette nouvelle mémoire numérique

Une mémoire plus orientée vers l’accès que vers la rétention

Nous avons développé une mémoire « d’accès » : au lieu de retenir l’information elle-même, nous retenons comment la retrouver rapidement.

Une dépendance accrue à Internet

Nous devenons de plus en plus dépendants de nos appareils numériques. Perdre l’accès à Internet peut provoquer un sentiment d’angoisse, similaire à la perte d’un proche sur lequel nous comptons pour nous rappeler certaines choses.

Moins d’effort pour apprendre ?

Si nous savons que nous pouvons retrouver une information facilement, nous faisons moins d’efforts pour la mémoriser.

Devons-nous nous inquiéter ?

L’idée que nous oublions davantage à cause de Google peut sembler alarmante, mais elle reflète en réalité une évolution naturelle de notre manière de traiter l’information. Nous ne sommes pas nécessairement devenus plus oublieux, mais nous avons réorienté notre mémoire vers un fonctionnement plus pratique.

Certaines études suggèrent que cette dépendance au numérique peut avoir des effets négatifs sur la concentration et la pensée critique. Cependant, tant que nous restons conscients de notre utilisation des technologies, nous pouvons en tirer le meilleur parti sans en devenir esclaves.

Comment optimiser notre mémoire à l’ère numérique ?

  1. Alterner entre mémoire interne et externe : Apprenez à mémoriser les informations essentielles tout en utilisant Internet pour le reste.
  2. Limiter la surcharge d’informations : Privilégiez des sources fiables et évitez la dispersion.
  3. Pratiquer la mémoire active : Essayez de vous rappeler une information avant de la chercher en ligne.
  4. Utiliser des techniques de mémorisation efficaces : La méthode des loci, les flashcards et la répétition espacée sont d’excellents moyens de mieux retenir les informations.
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Conclusion

L’étude de Sparrow et ses collaborateurs révèle que nous avons adapté notre mémoire à un monde où l’information est accessible en permanence. Nous nous souvenons moins des faits eux-mêmes, mais mieux de leur emplacement.

Cette évolution offre de nombreuses opportunités pour améliorer notre gestion de l’information. En trouvant un équilibre entre mémoire humaine et outils numériques, nous pouvons optimiser notre apprentissage et tirer le meilleur parti des nouvelles technologies.