Lorsque l’on s’interroge sur l’intérêt d’interdire le smartphone dans les collèges, les lycées, les universités, les open-spaces (…), la question de l’attention est toujours sous-jacente. On va alors incriminer les sonneries, accuser les notifications voire inculper les réseaux sociaux. Mais connaissez vous l’effet de la simple présence de votre téléphone portable sur votre attention ? C’est une théorie qui fait débat parmi les chercheurs, mais elle mérite quand même qu’on s’y intéresse.
Allez, on fait le point.
Le sujet de la « simple présence » des téléphones portables a été introduit par deux chercheurs. En 2013, Przybylski et Weinstein ont mené deux expériences pour évaluer si la simple présence d’un téléphone pouvait affecter la qualité des conversations en face à face. Cette étude a marqué un tournant dans la compréhension de l’influence des smartphones sur la qualité des interactions humaines.
Dans leur première expérience, des dyades ont discuté pendant 10 minutes en présence d’un téléphone ou d’un carnet de notes (remplaçant le téléphone). Les résultats ont montré que la qualité de la relation et la proximité ressentie étaient significativement plus faibles en présence d’un téléphone. La seconde expérience a élargi l’étude en explorant si le type de conversation (banale ou significative) affectait l’impact du téléphone. Les résultats ont montré que l’effet était plus prononcé lors des discussions significatives. Mais en 2021, ces mêmes auteurs n’ont pas réussi à reproduire ces résultats dans une nouvelle étude.
En 2014, une équipe de chercheurs a constaté que la simple présence d’un téléphone portable pouvait réduire l’attention et affecter les résultats de la réalisation de tâches complexes. Mais quatre ans plus tard, Urick et ses collaborateurs n’ont observé aucune différence significative de performance entre les groupes avec ou sans téléphone visible.
La première étude reliant la simple présence des téléphones à la performance cognitive a été réalisée en 2017. Ce phénomène, appelé « effet de drainage cérébral », a été étudié à travers deux expériences. La première impliquait 520 adolescents dont la capacité cognitive a été évaluée selon la localisation du téléphone (sur la table, dans la poche, ou dans une autre pièce). Les résultats ont montré que plus le téléphone était éloigné, meilleures étaient les performances en mémoire de travail et en intelligence fluide. La seconde expérience a confirmé cet effet, montrant que la simple présence du téléphone réduisait les performances, notamment chez les personnes ayant une forte dépendance au téléphone.
En 2018, une étude menée par Allred et Crowley a essayé de reproduire le protocole de Przybylski et Weinstein, mais cette fois-ci, les résultats ont indiqué que la satisfaction de la conversation n’était pas directement affectée par la simple présence d’un téléphone, mais plutôt par le souvenir des participants de la présence ou de l’absence du téléphone.
Cette étude a été largement citée et a inspiré de nouvelles recherches. Cependant, des tentatives récentes de réplication n’ont pas produit les mêmes résultats. Par exemple, les études de Pardo et Minda et de Hartmann n’ont pas réussi à reproduire les effets significatifs sur la mémoire à court terme et la mémoire prospective. Ces résultats suggèrent que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre l’effet de la présence des téléphones sur les performances cognitives et les interactions sociales, en affinant la méthodologie utilisée dans les études précédentes.
La simple présence du téléphone a également été étudiée spécifiquement sur les résultats scolaires. Certaines recherches ont ainsi montré des effets négatifs sur les performances académiques.
Harman et Sato, en 2011, ont découvert que l’envoi fréquent de SMS était lié à une baisse de la moyenne générale des étudiants. De plus, d’autres scientifiques ont démontré que les étudiants qui envoyaient des SMS pendant une présentation obtenaient de moins bons résultats aux tests. Les expériences de End, puis de Cutino et Ness ont également confirmé que la simple interruption d’un cours par la consultation de son téléphone pouvait nuire à la prise de notes et aux performances.
Par ailleurs, il avait déjà été montré que les sonneries de téléphones perturbent l’apprentissage, ce qui devait inciter à réguler l’usage des portables en milieu académique.
En 2020, Boila et ses collaborateurs ont examiné l’impact de la présence d’un téléphone portable sur les performances académiques de 45 participants. Les tests portaient sur l’orthographe, la compréhension de phrases et les mathématiques. Les résultats ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative entre les groupes avec et sans téléphone. De manière inattendue, le groupe avec téléphone a même légèrement surpassé le groupe sans téléphone dans tous les sous-tests, bien que cette tendance ne soit pas statistiquement significative. L’hypothèse initiale selon laquelle la présence d’un téléphone affecterait négativement les performances académiques n’a donc pas été confirmée.
Les travaux de Faizi et de ses collègues en 2013, avait déjà montré de façon inattendue, que les réseaux sociaux pouvaient améliorer l’engagement des étudiants dans des tâches académiques.
Vous l’aurez compris, nous sommes loin d’avoir parfaitement compris cet effet de la simple présence d’un smartphone sur notre concentration. Les résultats contradictoires des différentes expériences citées ne nous permettent d’ailleurs pas d’être certains de sa réalité.
Toutefois, avant d’en rejeter complètement l’existence, il faut comprendre certaines choses quant à ces études et au fonctionnement de l’attention.
La première, c’est que ces études se sont tenues à des époques et des lieux différents, ce qui peut avoir son importance. En effet, d’une part, étudier des comportements dans un laboratoire et dans la « vraie vie », sont des choses bien distinctes. Lorsque l’on participe à une étude scientifique, on s’y engage pleinement, on respecte les consignes de l’expérimentateur (n’est-ce pas, Stanley Milgram ?) et on peut donc se montrer beaucoup plus focalisé sur une tâche qu’on ne le serait en réalité dans une classe ou un amphi.
D’autre part, certaines études datent d’une quinzaine d’années, à une époque où le smartphone en tant qu’objet avait quelque chose de mystérieux et fascinant. Aujourd’hui, tout le monde est habitué à cet instrument et la simple présence d’un smartphone peut ne plus être aussi perturbante qu’au début des années 2010.
Un autre élément à prendre en considération, est le choix des chercheurs de mettre les participants en présence de leur propre téléphone, ou d’un téléphone quelconque. Être en présence de son propre téléphone offre la possibilité de se connecter rapidement à ses propres messagerie ou réseaux sociaux. Le sujet se projette ainsi intellectuellement facilement dans son propre univers personnel. La simple présence de son téléphone ferait donc penser aux individus qu’ils sont peut-être en train de rater des messages ou des informations (FOMO). Cette idée va provoquer une augmentation de l’anxiété et une baisse de l’attention.
Les effets de la simple présence du portable sont d’ailleurs plus importants chez les participants ayant un usage problématique de leur téléphone. Les auteurs de cette étude évoquent un contexte d’addiction au smartphone. Ceci parait logique : si vous êtes très dépendant de votre téléphone, vous serez l’objet de pensées obsédantes le concernant, ce qui nuira à votre concentration. C’est une caractéristique de l’addiction.
De plus, ces résultats contradictoires concernant cet effet de la simple présence d’un téléphone portable peuvent s’expliquer par les différentes compétences cognitives étudiées (intelligence fluide, mémoire, concentration, sociabilisation, créativité…) qui ne sont pas toutes équivalentes, ni comparables.
Enfin, concernant les résultats contre-intuitifs rapportant une amélioration de certaines compétences en présence de son téléphone portable, différents auteurs proposent une explication. Partant du principe que les capacités de concentration et de mémorisation sont toujours meilleures dans un environnement familier, la simple présence de son téléphone portable pourrait permettre de sécuriser les sujets dans un environnement inhabituel. Comme un doudou, le téléphone portable servirait à rassurer les individus qui pourraient ainsi mieux se concentrer sur une tâche.
Bref, on le voit, l’effet de la simple présence du portable n’est pas encore bien compris en milieu académique ou professionnel. Le contexte d’utilisation, la notion d’addiction, la familiarité avec l’objet, le type de tâche étudiée sont autant d’éléments à prendre en considération pour en comprendre les mécanismes.
Dans l’attente de nouvelles études, nous pouvons donc tout de même vous conseiller au moins de mettre votre téléphone en mode silencieux pour éviter que les diverses sonneries ne perturbent votre propre concentration ainsi que celle de vos voisins, de retourner votre portable ou de le ranger dans votre sac.