Solitude et troubles de l’usage d’internet

Solitude et troubles de l’usage d’internet entretiennent une relation complexe qui vient tout juste de faire l’objet d’une méta-analyse (une méta-analyse bien conduite offre un niveau de preuve assez élevé).

L’essor du numérique a profondément modifié notre manière d’interagir avec le monde. Internet, qui était censé nous rapprocher, est paradoxalement maintenant accusé de nous isoler.
 
Une étude internationale très récente s’est penchée sur la question : existe-t-il une relation entre la solitude et les troubles de l’usage d’internet (Internet Use Disorder, ou IUD) ? Cette méta-analyse, portant sur plus de 36 000 personnes issues de 23 études, révèle une corrélation modérée mais significative entre ces deux phénomènes


Dans cet article, nous explorons les principaux résultats de cette étude, les mécanismes qui pourraient expliquer ce lien et les implications pour la prévention et le traitement des comportements problématiques liés à l’usage d’internet.
 
On vous explique.
 

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Qu’est-ce qu’un trouble de l’usage d’internet ?

Un trouble de l’usage d’internet se caractérise par une utilisation excessive et non contrôlée du web, conduisant à des conséquences négatives sur la vie quotidienne, les relations sociales et la santé mentale. Ces troubles englobent plusieurs types de comportements problématiques :
Jeu en ligne excessif : reconnu comme une addiction comportementale dans la classification DSM-5.
Utilisation compulsive des réseaux sociaux : où l’individu passe une grande partie de son temps sur des plateformes comme Instagram, TikTok ou Facebook au détriment d’autres activités sociales.
Consommation excessive de vidéos ou de streaming : regarder des contenus en boucle, souvent pour fuir la réalité ou l’ennui.
Achat en ligne compulsif : acheter de manière impulsive et excessive en ligne.
Utilisation excessive des smartphones : consultation incessante du téléphone, anxiété lorsqu’il n’est pas accessible, impact négatif sur la concentration et le sommeil.
Certains de ces troubles sont déjà reconnus par les grandes classifications diagnostiques comme des addictions comportementales (par exemple, le jeu vidéo en ligne), tandis que d’autres, comme l’addiction aux réseaux sociaux, restent en débat dans la communauté scientifique.
 

Solitude : Une cause et une conséquence des troubles liés à internet ?

La solitude est une expérience subjective qui survient lorsqu’il y a un décalage entre les interactions sociales souhaitées et celles réellement vécues. Il est important de différencier deux formes de solitude :
Solitude émotionnelle : absence de liens affectifs forts avec des personnes proches.
Solitude sociale : manque d’appartenance à un groupe ou une communauté.
 
La question posée par l’étude est double :
Les personnes souffrant de solitude sont-elles plus à risque de développer un trouble de l’usage d’internet ?
Les personnes atteintes d’un trouble de l’usage d’internet deviennent-elles plus solitaires ?
 
L’étude met en avant plusieurs hypothèses pouvant expliquer cette potentielle relation.
Le modèle du déplacement
Selon ce modèle, l’usage intensif d’internet réduit le temps passé dans des interactions sociales en face à face. Les individus consacrent davantage de temps à leurs activités en ligne, ce qui entraîne une diminution des contacts réels avec leurs amis et leur famille, renforçant ainsi leur sentiment de solitude.
Le modèle de la régulation émotionnelle
Les personnes souffrant de solitude pourraient utiliser internet comme un moyen d’échapper à leur mal-être. Les jeux en ligne, les réseaux sociaux ou les vidéos offrent une échappatoire temporaire aux émotions négatives. Cependant, cette stratégie d’adaptation devient problématique lorsque l’usage d’internet remplace progressivement les interactions sociales réelles, créant un cercle vicieux.
Le modèle des comportements problématiques
Un autre modèle, issu de la théorie du comportement problématique, suggère que les troubles de l’usage d’internet ne sont pas directement causés par la solitude mais font partie d’un ensemble plus large de comportements à risque. Ceux-ci peuvent inclure la consommation de substances, des troubles de l’humeur ou des déficits dans les compétences sociales.
 

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Résultats de l’étude : Une corrélation significative entre solitude et usage excessif d’internet

L’étude a analysé les données de 36 484 participants âgés de 13 à 30 ans, issus de 23 études menées dans différentes régions du monde. Voici les principaux résultats obtenus :
Les personnes présentant des symptômes de trouble de l’usage d’internet se sentent significativement plus seules que celles qui n’en présentent pas. L’effet est modéré mais cohérent à travers les différentes formes d’utilisation excessive d’internet.
Types d’usages analysés :
Addiction générale à internet : score de solitude plus élevé chez les personnes présentant des symptômes d’addiction.
Jeu en ligne excessif (Internet Gaming Disorder – IGD) : corrélation forte entre solitude et IGD, suggérant que le jeu en ligne peut être utilisé pour compenser un manque de relations sociales.
Utilisation problématique des réseaux sociaux : bien que ces plateformes visent à connecter les individus, une utilisation excessive est liée à un isolement plus important.
Dépendance aux smartphones : corrélation entre solitude et usage compulsif du téléphone portable.
Différences selon l’âge et le sexe : Aucune différence significative n’a été trouvée en fonction de l’âge ou du sexe, ce qui signifie que la solitude et l’usage excessif d’internet concernent tous les profils démographiques de manière similaire.
Les résultats sont cohérents dans plusieurs contextes culturels, ce qui suggère que la relation entre solitude et usage excessif d’internet est un phénomène global et non spécifique à une région du monde.
 

Implications et recommandations

Prévention et intervention
Les résultats de cette étude mettent en évidence la nécessité d’une approche préventive et thérapeutique pour lutter contre les troubles de l’usage d’internet.
Encourager des interactions sociales hors ligne : inciter les jeunes à participer à des activités en présentiel (sports, groupes communautaires, clubs, etc.).
Développer des programmes de sensibilisation : enseigner les risques d’un usage excessif d’internet et l’importance des relations sociales.
Intégrer la famille et les amis dans le processus de récupération : un réseau de soutien solide peut réduire la solitude et limiter les comportements addictifs.
Proposer des thérapies basées sur la gestion des émotions : les approches cognitivo-comportementales (TCC) peuvent aider à réduire la dépendance à internet en favorisant des stratégies alternatives pour gérer la solitude.
 

Quel rôle pour la technologie ?

Si internet est souvent pointé du doigt comme un facteur d’isolement, il peut également être un outil pour lutter contre la solitude lorsqu’il est utilisé de manière équilibrée :
Applications de soutien émotionnel et de santé mentale
Groupes de discussion et forums bienveillants
Utilisation modérée des réseaux sociaux pour maintenir des liens avec des proches éloignés
 

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L’étude met en lumière une relation bidirectionnelle entre solitude et troubles de l’usage d’internet. Loin d’être anodine, cette corrélation souligne l’importance d’une prise de conscience collective sur l’impact de notre consommation numérique.
Si internet peut être une échappatoire temporaire à la solitude, un usage excessif risque d’aggraver l’isolement social. Il est donc crucial de promouvoir un équilibre entre vie numérique et interactions réelles afin de préserver la santé mentale et le bien-être social.