Dans une société où les écrans dominent notre quotidien, les parents se trouvent confrontés à des défis inédits concernant l’éducation de leurs jeunes enfants. Une étude récente suisse, publiée dans Computers in Human Behavior, explore les relations entre le stress parental, les attitudes parentales envers les écrans, et le temps d’exposition des enfants de moins de trois ans aux médias numériques. Cette recherche, menée auprès de 462 parents, éclaire les mécanismes complexes qui conduisent les familles à adopter (ou non) les écrans comme outils éducatifs ou de gestion du stress.
On vous raconte.
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L’usage des écrans chez les jeunes enfants : une tendance en hausse
Dès leurs premiers mois de vie, les enfants sont exposés aux écrans. L’étude révèle qu’entre 19 et 24 mois, les enfants suisses passent en moyenne 16 minutes par jour devant un écran, une durée qui augmente à 42 minutes entre 2 et 4 ans. Ces chiffres restent inférieurs à d’autres études menées, par exemple, en Allemagne (59 minutes par jour pour les enfants de 2 à 3 ans) ou aux États-Unis (2.5h par jour pour les enfants âgés de 2 à 4 ans), mais ils témoignent d’une tendance mondiale : l’omniprésence des écrans dans les foyers et l’augmentation continue du temps passé devant nos appareils numériques.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande d’éviter tout écran avant l’âge de 2 ans et de limiter leur usage à une heure par jour pour les 2-4 ans. La commission écrans ayant remis son rapport au Président de la République Française le 30 avril 2024 préconise quant à elle d’éviter les écrans pour les enfants de moins de 3 ans.
Toutefois, dans un monde où smartphones, tablettes et télévisions font partie intégrante de la vie quotidienne, ces recommandations sont souvent difficiles à appliquer. Les écrans sont fréquemment utilisés par les parents comme outils pour occuper, distraire ou éduquer leurs enfants. Dans certains cas, ils servent aussi à réduire le stress parental.
Stress parental et recours aux écrans
Le stress parental est un facteur déterminant de l’exposition des enfants aux écrans. Ce stress, qui peut être causé par la charge mentale liée à l’éducation des enfants, le manque de soutien social ou des circonstances spécifiques (comme la pandémie de Covid-19), influence directement les « choix » des parents.
L’étude montre que les parents stressés permettent plus souvent à leurs enfants de passer du temps devant les écrans. Cet usage est parfois une stratégie d’adaptation à court terme pour faire face à des situations éprouvantes. Par exemple, un parent submergé peut autoriser son enfant à regarder une vidéo pour gagner du temps ou réduire les conflits.
Cependant, cette solution de facilité peut avoir des répercussions à long terme. En recourant systématiquement aux écrans, les parents risquent d’installer des habitudes qui persistent au-delà de la petite enfance. Cette dynamique peut également aggraver les tensions parent-enfant lorsque des limites sont imposées ultérieurement.
Attitudes parentales : une influence déterminante
Les attitudes des parents envers les écrans jouent un rôle tout aussi crucial. Certains parents perçoivent les écrans comme des outils positifs – un moyen d’éduquer leurs enfants, de les initier aux technologies ou de les distraire efficacement. Ces attitudes favorisent un usage prolongé des écrans. À l’inverse, les parents qui considèrent les écrans comme nuisibles à la créativité ou au développement social de leurs enfants ont tendance à en limiter l’utilisation.
Cette étude met en lumière un point important : les attitudes des parents modèrent l’effet du stress parental sur l’usage des écrans. Ainsi, des parents stressés mais ayant une perception négative des écrans chercheront des solutions alternatives pour gérer leur stress, tandis que ceux ayant une vision positive des écrans auront tendance à les utiliser davantage comme outil de gestion.
Notons que cette approche sociale des stratégies parentales d’exposition des enfants aux écrans doit nécessairement s’intéresser aux possibilités matérielles et financières d’adopter ces « solutions alternatives ».
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L’impact des saisons et des contextes sociaux
Le recours aux écrans semble également influencé par des facteurs externes tels que les saisons ou des contextes exceptionnels comme la pandémie. Pendant les mois d’hiver ou lors de périodes marquées par des restrictions sociales, comme le confinement, l’exposition aux écrans augmente. Le manque d’activités extérieures et la difficulté à maintenir des routines dans de telles situations poussent les parents à s’appuyer davantage sur les écrans.
Par exemple, lors de la vague Omicron de la pandémie, les parents ont rapporté un usage accru des écrans, une situation exacerbée par l’absence d’alternatives comme les rencontres familiales ou les sorties. Ces périodes mettent en lumière la manière dont les écrans deviennent une solution par défaut face à des contextes de stress collectif (qui n’ont pas concerné que les enfants).
Les écrans comme outils d’adaptation
En filigrane, l’étude révèle une vérité contemporaine : pour certains parents, les écrans sont devenus les « nouveaux doudous ». Ils ne se contentent pas d’occuper les enfants, mais servent aussi à apaiser les tensions familiales. Ce rôle de pacificateur est particulièrement visible chez les parents confrontés à des niveaux élevés de stress.
L’utilisation des écrans comme outil d’adaptation présente des avantages à court terme, mais peut créer des défis à long terme. Les experts soulignent que l’établissement de règles claires et cohérentes sur l’utilisation des écrans dès le plus jeune âge est crucial pour éviter des problèmes futurs, tels que l’addiction ou le manque d’interactions sociales.
Implications pour les politiques et les pratiques parentales
Ces résultats appellent à une approche plus nuancée des recommandations concernant l’usage des écrans. Plutôt que de simplement limiter le temps d’écran, il est crucial de soutenir les parents dans leur rôle et de leur offrir des alternatives viables pour gérer le stress. Voici quelques stratégies possibles :
1. Soutien social : Encourager la participation à des groupes de parents ou à des ateliers pour partager des expériences et des conseils.
2. Activités partagées : Proposer des jeux ou des moments de pleine conscience en famille pour renforcer le lien parent-enfant.
3. Pratiques éducatives réfléchies : Sensibiliser les parents à l’impact des écrans sur le développement des enfants et les encourager à privilégier un usage éducatif et interactif.
4. Techniques de gestion du stress : Enseigner aux parents des stratégies pour gérer leur stress, comme la méditation, la respiration ou le recours à un soutien professionnel.
En intégrant ces outils dans les recommandations, les politiques publiques pourraient mieux répondre aux besoins des familles modernes, particulièrement celles confrontées à des niveaux de stress élevés.
Une responsabilité collective
Enfin, il est essentiel de comprendre que les écrans, bien qu’omniprésents, ne sont ni intrinsèquement bons ni mauvais. Leur impact dépend en grande partie de la manière dont ils sont utilisés et du contexte dans lequel ils s’intègrent. En aidant les parents à adopter une utilisation réfléchie des écrans et en leur offrant des ressources pour réduire leur stress, nous contribuons non seulement au bien-être des enfants, mais aussi à celui des familles dans leur ensemble.
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Cette étude offre un éclairage précieux sur les raisons pour lesquelles les parents se tournent vers les écrans pour leurs jeunes enfants. Elle met en évidence la nécessité d’aborder la question de manière holistique, en tenant compte des contextes familiaux, sociaux et émotionnels.
En fin de compte, l’objectif n’est pas de diaboliser les écrans, mais de soutenir les familles dans l’établissement d’un équilibre sain. Grâce à des recommandations nuancées, des stratégies de soutien adaptées et une meilleure compréhension des dynamiques familiales, nous pouvons faire des écrans non pas une source de conflit, mais un outil constructif au service des enfants et des parents.