Smartphones, addiction et cerveau

L’addiction aux smartphones est un sujet de plus en plus étudié, notamment pour comprendre ses impacts sur le cerveau. Une étude récente a analysé les effets d’une restriction de 72 heures d’utilisation du smartphone chez de jeunes adultes. Les résultats révèlent des modifications cérébrales significatives, proches de celles observées dans d’autres formes d’addiction.

On vous explique.

smartphone addiction et cerveau

Méthode : une approche scientifique rigoureuse

1. Objectif de l’étude

L’objectif principal de cette étude était d’analyser l’impact de la privation de smartphone sur l’activité cérébrale, en se concentrant sur les régions associées au circuit de la récompense et au contrôle des impulsions.

Les chercheurs ont cherché à répondre aux questions suivantes :

  • La restriction du smartphone entraîne-t-elle des modifications mesurables de l’activité cérébrale ?
  • Ces modifications sont-elles similaires à celles observées dans d’autres formes d’addiction ?
  • Existe-t-il un lien entre l’intensité de l’addiction au smartphone et les changements neuronaux observés ?
2. Participants et critères de sélection

L’étude a été menée sur 25 jeunes adultes âgés de 18 à 30 ans, sélectionnés selon plusieurs critères :

  • Utilisation régulière du smartphone (évaluée par des questionnaires validés comme le Smartphone Addiction Scale – SAS).
  • Absence de troubles neurologiques ou psychiatriques diagnostiqués.
  • Droitier uniquement, pour limiter les variations dans l’organisation cérébrale.
  • Parlant suffisamment bien l’allemand pour comprendre les consignes sans difficultés.

Les participants ont été répartis en deux groupes. Un premier groupe, le « Groupe « Usage excessif » » composé de personnes présentant une dépendance élevée au smartphone, et un deuxième groupe comprenant des personnes ayant une utilisation plus équilibrée : le « Groupe « Usage modéré » ».

3. Protocole expérimental

L’expérience s’est déroulée en trois grandes étapes :

Étape 1 : Évaluation initiale (T0)

Avant toute restriction, chaque participant a passé des tests psychométriques pour évaluer son niveau d’addiction aux smartphones, de dépression, d’addiction aux jeux vidéo et de craving (c’est à dire le besoin irrépressible de consommer une substance ou de répéter un comportement, caractéristique des addictions).

Une première session d’IRM fonctionnelle (IRMf) est réalisée pour observer l’activité cérébrale de base en réponse à des stimuli liés aux smartphones.

L’IRMf mesurait les réactions neuronales face à deux types d’images : des images neutres (objets du quotidien sans lien avec les smartphones) et des images de smartphones actifs et inactifs (écran allumé vs écran éteint).

Étape 2 : Restriction de 72 heures (T1 à T2)

Immédiatement après avoir passé l’IRMf, les participants ont été invités à ne pas utiliser leur smartphone pendant trois jours. Aucune application ou réseau social n’était autorisé, seuls les appels d’urgence étaient bien entendu permis. Un suivi a été réalisé pour s’assurer du respect des consignes.

Pendant cette période, les chercheurs ont mesuré le craving (envie irrépressible d’utiliser le smartphone) ainsi que les symptômes de manque (anxiété, irritabilité, stress).

Étape 3 : Évaluation finale (T2)

Après 72 heures de restriction, chaque participant a donc passé un second IRMf pour mesurer les changements d’activité cérébrale et a rempli un questionnaire final pour évaluer ses ressentis et le craving.

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Résultats : des modifications cérébrales similaires à d’autres addictions

Les analyses d’imagerie cérébrale ont révélé des changements significatifs dans plusieurs régions du cerveau après 72 heures sans smartphone.

1. Augmentation de l’activité du circuit de la récompense

A la fin de la période de restriction, une augmentation marquée de l’activité a été observée dans le noyau accumbens (région clé du circuit de la récompense), ainsi que dans le cortex cingulaire antérieur (impliqué dans la gestion du craving et des émotions). Ces régions sont également fortement impliquées dans d’autres addictions, comme la dépendance aux drogues ou aux jeux vidéo.

Les chercheurs interprètent cette hausse d’activité comme une réaction de manque, indiquant que le smartphone agit comme une source de gratification pour le cerveau.

Pour nous, il est également possible que cette hyperactivité soit due à l’anticipation de la récompense, c’est-à-dire la restitution du smartphone.

Pour rappel, le système de la récompense est sollicité au moment de l’évaluation de la récompense, au moment de l’anticipation de la récompense, au moment de la comparaison entre la récompense effective et la récompense attendue, et aussi en fonction du type de récompense

2. Diminution de l’activation des zones de traitement sensoriel

En parallèle, une réduction de l’activité a été constatée dans le lobe pariétal supérieur (traitement de l’attention et des stimuli visuels) et le cortex occipital (impliqué dans la perception des images).

Pour les chercheurs, ces zones étant normalement stimulées par l’usage du smartphone, leur moindre activation après 72 heures de restriction suggère un phénomène d’adaptation du cerveau.

3. Corrélation entre craving et activation neuronale

Les scientifiques ont trouvé que l’intensité de l’activation dans le noyau accumbens était directement corrélée aux scores de craving des participants. Ainsi, plus un participant montrait des signes de forte dépendance au smartphone, plus l’activité de cette région était élevée après 72 heures sans téléphone.

De plus, les participants du groupe « Usage excessif » ont également rapporté plus d’irritabilité et d’anxiété pendant la privation.

4. Comparaison avec d’autres addictions

Les résultats de cette étude sont similaires à ceux de recherches antérieures menées sur d’autres formes de dépendance :

  • Addiction à la nicotine : après 24 heures sans tabac, les fumeurs montrent une augmentation de l’activité du cortex cingulaire antérieur, ce qui est également observé ici avec la privation de smartphone.
  • Addiction aux jeux vidéo : les joueurs excessifs montrent une forte activation du noyau accumbens lorsqu’ils sont privés de leur jeu préféré.
  • Addiction aux substances psychoactives : des études ont démontré que la privation d’alcool ou de drogues entraîne des changements similaires dans le circuit de la récompense.
5. Absence de modification significative de l’humeur

Contrairement aux attentes, l’étude n’a pas observé d’augmentation des symptômes dépressifs ou anxieux après 72 heures de restriction. Certains participants ont même déclaré se sentir mieux après cette pause numérique.

Cela suggère que l’addiction aux smartphones n’entraînerait pas de troubles de l’humeur sévères, contrairement à la dépendance aux substances.

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Conclusions et implications

1. Confirmation d’un processus addictif

Les résultats tendent à confirmer que l’utilisation excessive des smartphones active des mécanismes cérébraux similaires à ceux observés dans d’autres addictions. La privation de smartphone déclenche une réaction de manque, mesurable par des modifications neuronales spécifiques.

2. Nécessité de réguler son usage.

Bien que le smartphone ne soit pas nocif en soi, son usage excessif peut impacter la concentration, le bien-être et la régulation des émotions. Il est donc essentiel de mettre en place des stratégies pour limiter l’addiction.

3. Pistes pour de futures recherches

Cette étude ouvre la voie à d’autres travaux qui devront notamment s’attacher à analyser les effets d’une restriction plus longue (une semaine ou un mois), à explorer les différences entre les groupes d’âge (adolescents vs adultes), et aussi à tester des interventions de réduction progressive plutôt qu’une restriction brutale.

Cette étude, se déroulant sur 72 heures, semble effectivement présenter des résultats intéressants, mais une durée plus longue permettrait d’obtenir des résultats plus précis, notamment sur les troubles de l’humeur et les modifications à moyens et longs termes sur le fonctionnement du système de récompense.

Une autre limite de cette étude est la perte de données concernant 7 participants sur les 25 participants. Ceci constitue effectivement un biais important.

Par ailleurs, si cette étude nous renseigne sur l’intervention du circuit de la récompense et de la dopamine dans ce trouble comportemental, elle ne nous dit rien de la place éventuelle des biais cognitifs dans son fonctionnement.

Le faible nombre de participants est également une limite importante de l’étude, mais ce genre de protocole expérimental ne permet pas réellement un recrutement massif. Il est donc important et nécessaire de reproduire cette expérimentation.

Enfin, l’observation du cerveau via des IRMf ne permet pas de déduire de manière irréfutable son fonctionnement, et encore moins son fonctionnement en dehors du laboratoire. Les IRMf nous permettent seulement de constater l’activation de certaines régions du cerveau lorsque le sujet est placé dans l’appareil à IRM, mais rien ne permet d’être certain qu’il existe effectivement une libération massive de dopamine dans ces régions et encore moins que ces hyperactivités seraient retrouvées lorsque les sujets évoluent dans leur vie quotidienne. D’autres analyses seraient nécessaires.

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Vers une meilleure gestion du smartphone

L’addiction aux smartphones est une réalité qui devient mesurable scientifiquement. Bien que cette dépendance n’entraîne pas d’effets aussi graves que les addictions aux substances, elle modifie le cerveau et influence nos comportements.

Une prise de conscience et des solutions adaptées, comme la détox numérique, peuvent aider à retrouver un usage plus équilibré et bénéfique des technologies.

Attention toutefois car cette étude présente des limites importantes, mais elle constitue une étape importante dans la mise en évidence de cette forme de dépendance comportement vis-à-vis des smartphones, d’internet ou des réseaux sociaux.

Il devient donc de plus en plus difficile pour certains pseudo-experts de continuer à nier la réalité de cette problématique.