Déconnexion des réseaux sociaux : une solution miracle pour le bien-être ? Pas si sûr ! À l’heure où les appels à la digital detox se multiplient, une équipe de chercheurs s’est penchée sur l’idée que se couper des réseaux sociaux améliorerait notre bien-être mental. L’étude menée par Andree Hartanto et ses collègues à la Singapore Management University remet en question cette croyance répandue, et les résultats sont aussi surprenants qu’intéressants.
On vous raconte.

Un contexte numérique omniprésent
Avec plusieurs milliards d’utilisateurs dans le monde, les réseaux sociaux font désormais partie intégrante de notre quotidien. Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat… Ces plateformes nous permettent de garder le contact, de s’informer ou simplement de se divertir. Mais elles sont aussi souvent accusées d’être néfastes pour notre santé mentale : stress, anxiété, dépression, troubles du sommeil, etc.
De nombreuses études ont en effet mis en évidence une corrélation entre une utilisation intensive des réseaux sociaux et une baisse du bien-être. Toutefois, la majorité de ces travaux sont fondés sur des données dites « corrélationnelles », c’est-à-dire qu’elles constatent un lien sans pouvoir prouver une relation de cause à effet. Est-ce que les réseaux rendent malheureux ? Ou est-ce que les personnes malheureuses se tournent davantage vers les réseaux ? Difficile à dire.
Méthodologie
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont conçu une expérience expérimentale contrôlée, une méthode beaucoup plus robuste. Leur idée : observer les effets réels d’une abstinence partielle ou totale des réseaux sociaux sur le bien-être au quotidien. 280 jeunes adultes utilisateurs réguliers ont été répartis aléatoirement en trois groupes pendant une semaine :
- Groupe 1 : Abstinence totale – suppression complète des applications de réseaux sociaux.
- Groupe 2 : Abstinence partielle – usage limité à 10 minutes par jour.
- Groupe 3 : Groupe témoin – usage habituel, sans restriction.
Chaque jour, les participants remplissaient un questionnaire évaluant plusieurs dimensions du bien-être : anxiété, dépression, satisfaction de vie, stress perçu, émotions positives et négatives, solitude, qualité du sommeil, et même des erreurs cognitives (oublis, inattention).
Une peur amplifiée… mais un bien-être inchangé
Les résultats sont clairs : aucune amélioration du bien-être n’a été observée, ni dans le groupe d’abstinence totale ni dans celui d’abstinence partielle. Même après 7 jours sans réseaux sociaux, les participants ne se sentaient ni plus heureux, ni moins stressés, ni mieux reposés que ceux qui continuaient à les utiliser normalement.
En revanche, ceux qui ont complètement coupé les réseaux ont ressenti une augmentation notable de la peur de manquer quelque chose, ce qu’on appelle le FOMO (Fear of Missing Out). Cette angoisse de ne pas être au courant des événements sociaux ou de rater des moments importants en ligne est un phénomène bien documenté, particulièrement chez les jeunes.

Pourquoi ces résultats ?
Plusieurs hypothèses sont évoquées. D’abord, il semble que les réseaux sociaux, malgré leurs défauts, remplissent aussi des fonctions positives : ils apportent un sentiment d’appartenance, du soutien social, et une forme de divertissement. S’en priver totalement peut donc créer un vide qui ne profite pas nécessairement au bien-être, surtout à court terme.
De plus, les effets négatifs des réseaux pourraient être dus à un usage spécifique (par exemple passif ou compulsif), plutôt qu’à l’usage en soi. Et il se pourrait aussi que le mal-être précède l’utilisation excessive, et non l’inverse. Autrement dit, ce ne sont pas forcément les réseaux qui nous rendent déprimés, mais les personnes en détresse émotionnelle qui ont tendance à s’y réfugier. Dans ce contexte, les réseaux sociaux nous servent de béquille pour nous faire sentir mieux, mais ils ne nous aident pas à traiter nos problématiques.
Concernant le FoMO, nous avons déjà eu l’occasion de montrer qu’il pouvait être à l’origine d’un usage problématique des réseaux sociaux. Ainsi, une personne ayant un FoMO important trouvera un apaisement en consultant régulièrement ses réseaux sociaux, et il apparait donc normal qu’en être privé réactive cette peur de manquer une information.
Une digital detox… à relativiser
Cette étude jette un pavé dans la mare des recommandations qui prônent la déconnexion comme solution miracle pour se sentir mieux. Loin de dire qu’il faut rester scotché à son téléphone, les chercheurs rappellent simplement que le lien entre réseaux sociaux et santé mentale est plus complexe qu’on ne le pense.
Nous vous avions déjà présenté une étude affirmant également que priver un jeune de son smartphone ne permettait pas toujours d’améliorer son état de santé.
Faut-il pour autant abandonner l’idée de faire des pauses numériques ? Pas nécessairement. Chacun peut avoir une relation différente avec les réseaux sociaux, et certaines personnes pourraient effectivement en bénéficier. Mais il semble peu probable qu’une semaine de sevrage appliquée à tout le monde soit une recette universelle pour le bonheur.
Ce qu’il faut retenir
- Les réseaux sociaux ne sont pas en soi des ennemis du bien-être.
- Une semaine de pause, totale ou partielle, ne suffit pas à améliorer significativement la santé mentale.
- Le FOMO augmente en cas d’abstinence totale, ce qui pourrait contrebalancer tout effet bénéfique.
- Il est essentiel d’adopter une approche nuancée et personnalisée du rapport au numérique.

Cette étude vient enrichir un débat brûlant d’actualité, à l’heure où les réseaux sociaux sont à la fois omniprésents et de plus en plus critiqués. Plutôt que de diaboliser ces outils ou de les sacraliser, l’enjeu est sans doute de mieux comprendre comment et pourquoi nous les utilisons — et comment en garder le contrôle, sans culpabilisation ni solution miracle.
Attention toutefois, car cette étude se concentre sur un échantillon restreint de jeunes adultes de Singapour qui rapportent eux-mêmes leur cyber-comportement. Il y a donc de nombreux biais méthodologiques et statistiques. Il faudra donc reproduire ce protocole expérimental pour savoir si ces conclusions peuvent être généralisées.
Cependant, une précédente étude avait également mis en lumière l’implication du FoMO dans certaines difficultés de prise de distance avec les réseaux sociaux.
De notre côté, nous vous invitons tout de même, dans l’attente de recommandations contraires, à limiter votre temps d’écran, à vous promener dans la nature, à rencontrer du monde et à avoir des activités sociales, culturelles, artistiques et / ou sportives épanouissantes. En cas de difficultés à vous séparer de votre smartphone, n’hésitez pas à en parler à un ou une professionnel-le de santé.